Où il était question d’un château, d’un balcon, lieu à part dans une construction, ni vraiment à l’intérieur, ni vraiment à l’extérieur, d’un motif en fer forgé et de mon interprétation en dentelle aux fuseaux.
Travail sur le fil, travail sur la répétition du motif, travail aussi sur l’enfance et les contes associés à l’enfance.
Les épingles de cette dentelle m’ont renvoyée à un conte où il est justement question de château, de fuseaux, d’épingles, mais aussi de cette prolifération de plantes épineuses, ce maléfice jeté autour du château de la Belle au bois dormant.
Le temps est alors comme suspendu.
Dans ce livre d’artiste, la typographie est une de mes créations, chacune des lettres de ce texte étant composée à partir d’une épingle.






Extrait de l’étude De l’épingle à l’aiguille, L’éducation des jeunes filles au fil des contes de Anne Monjaret.
La haie d’épines qui entoure le château protège la princesse endormie comme l’épingle, la jeune fille. Dans certaines régions l’expression «epenessi sa foeye » ou « épinasser sa fille » désigne le fait « de l’entourer, au figuré, d’épines, objets piquants qui remplacent l’épingle, pour la protéger de prétendants trop nombreux car… “qui s’y frotte s’y pique” ! » C’est ainsi que la haie ne fleurit qu’à l’approche du mariage, moment où, dans certaines communes, on choisit la plus vertueuse des jeunes filles – la rosière – que l’on couronne et que l’on dote. À ses noces, déflorée, dépouillée de ses fleurs, la mariée perd sa virginité, avec cet acte s’achève le temps du cycle végétal qui accompagne le temps de l’épanouissement des filles et commence celui de la reproduction. Les épingles, les aiguilles et les autres objets piquants de formes similaires (épine, fuseau, boucle d’oreille) appartiennent au domaine féminin. Instruments de magie et de sorcellerie, outils de travail (tricoter, broder, filer…), objets de parure et de protection, ils ont des fonctions multiples. La jeune fille devra apprendre leur langage, faire la différence entre celui des épingles et celui des aiguilles, celui de la préparation à la sexualité et celui de la sexualité.
À travers le motif des épingles et des aiguilles, on peut retracer le destin que connaissent les filles. Une fois choisi le chemin des épingles, à quinze ans, elles font un séjour chez la couturière durant lequel elles se piquent le doigt. Elles acquièrent alors le langage des épingles. Jeunes filles en fleur, c’est-à-dire mûres, elles sont prêtes à changer de statut. Le jour de leur mariage, elles sont couronnées d’épingles, comme la statue de sainte Catherine dont le cérémonial reproduit le rite nuptial. L’époux, avec la couturière, aura la charge de retirer la couronne nuptiale et de faire tomber les épingles, de déflorer son épouse. On voit ici comment s’effectue le passage du chemin des épingles à celui des aiguilles, comment aussi le langage des épingles croise celui du sang.